thierry mortiaux


queue de poisson

thierry mortiaux
estampes 
du 13 mai au 13 juillet 2019
vernissage le lundi 13 mai de 18 à 20 h 30

salon ouvert du mardi au vendredi de 14 h à 18 h 30
le samedi de 9 h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h

congés d’été du 15 juillet au 17 août 2019

Poisson, s. m. « On sait que les vrais poissons, les poissons à ouïes, ne s’accouplent pas. »
Bonnet, Contemplat. nat. XII, 27


Vous plairait-il de les étreindre, ces échappés du bocal relâchés à la mer ? Hors cadre, les voici en suspension dans l’immensité liquide. Ils vous semblaient familiers, ils se révèlent étranges à vos yeux, évoluant en eaux sourdes. Charivari immobile. Il se pourrait qu’ils vous sourient. Sous la surface, un rien génère le trouble. Il suffit d’une ride, d’une tache, d’un crissement, griffure, grattement, d’un geste esquissé, d’un regard biaisé, d’une grimace figée, du pli d’une chair, et le vertige semble poindre. Vous vous figez vous aussi : ils vous observent, vous jaugent, vous reniflent, leurs humeurs sont les vôtres. Senteurs de fin de soirée, de fin de jeunesse, de fin de vie. Ça sent le stupre et la fleur fanée, messieurs-dames ! Et aussi le sel, l’acide et une drôle d’amertume. Leurs corps sont fatigués, mais ils vous toisent encore. Comme ils sont beaux dans leurs habits de fête, comme ils sont fiers dans leurs vêtements de peau ! Si seulement ils pouvaient respirer le soleil par les pores et s’offrir sans honte à l’inquiétude de vos regards. Eux, ils proposent : il y a de la frénésie dans leurs exhibitions grotesques. Elles, elles s’exposent, leurs lèvres entrouvertes vous disent ce que vous aimeriez entendre. Et cette sarabande éperdue accouche d’un brouhaha diffus, ici et là chuchotements aigus, grognements humides, rires et claquements de dents, antiques incantations, borborygmes informes qui se superposent et se confondent, habillant le silence. Chut ! Un frémissement. Quelque chose se passe. Auriez-vous l’audace de vous avancer à leur rencontre, y risqueriez-vous les yeux, dans ce théâtre de pénombres, y passeriez-vous la tête, dans cette béance à rebrousse-poil ? Encore un effort... À votre tour de frémir : vous voilà poisson – de tête à queue.

Thierry Lecloux