kikie crêvecœur



Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, disait Flaubert. Lorsque Kikie Crêvecœur, dans son atelier, évoque brièvement qu’elle a travaillé ici au départ de rien – traces, fumées, ombres (et, pourrait ajouter qui la connaît un peu, doutes, errances, invisible patience) – on pense immédiatement force interne du style. Qui outrepasse ce que l’on tente d’en dire. Qui s’expérimente du regard seulement. Sans hâte, dans un vertige qui prend lentement possession de nous.
Sans doute pourrait-on évoquer la fin d’un monde, l’apocalypse à venir, sa séduction dangereuse, scandaleusement légère, champignon, arbre, chapeau de plumes ou de nuées annonciatrices de la destruction totale. Ou le retour miséricordieux du cosmos, de la profondeur du noir, les astres comme des clous d’argent, la Voie lactée – disparue de nos cieux dévorés par la lumière artificielle – rendue à sa dissémination paisible, son clignement familier. Ou l’éternel végétal, ce vert que seule la couleur nomme – si pauvre ce mot de « vert », si indigeste en regard de cette somptuosité libre et construite, qui nous survivra, évidemment. Ou les crépuscules bleu vif et noirs qu’une fois aveugles ou morts nous pleurerons à jamais.
Il sera moins facile de dire ce qui, dans ces images, nous comble et nous perd à la fois. Ce dans quoi l’on voudrait s’engloutir quand tous les signaux de la planète sont au rouge. La profondeur d’un rien. La puissance iconique d’un élément de nature. La poussière noire qui subsiste quand le paysage, calciné, se fait néant. L’encre enfin, où l’œil se noie, voyageant dans sa matière docile que l’artiste, qui la travaille et la touche d’empreintes mystérieuses et ténues, rend infiniment fraternelle. Comme la voûte nocturne sous laquelle l’on voudrait se coucher pour un dernier sommeil.

Caroline Lamarche